🔴 Lors des années de bascule de décennie, le Tour de France a quelquefois connu des changements organisationnels, vécu en coulisses des événements dont la portée s’est révélée décisive… ou est restée anecdotique. Le voyage dans le temps proposé par letour.fr se poursuit en 1960, précisément sur l’avant-dernière étape, lorsque le peloton a reçu pour la première fois la visite d’un président de la République à l’occasion du passage à Colombey-les-Deux-Églises où séjournait le général de Gaulle. Une forme de révérence mutuelle entre l’homme d’Etat et les champions a marqué ce moment inédit.
Sur le Tour de France 1960, la bataille sportive laisse surtout un goût d’amertume en raison des forfaits et abandons en cascade qui limitent la concurrence. Anquetil a fait l’impasse, épuisé par son Giro victorieux, tandis que le tenant du titre Federico Bahamontes quitte la scène sans même achever la deuxième étape. Surtout, l’équipe de France déjà en plein malaise perd toute chance de victoire au moment de la tragique chute de Roger Rivière dans la descente suivant le col de Perjuret en Lozère. Il n’y a guère plus de combattants après l’étape d’Avignon, à une semaine de l’arrivée, pour contrarier les ambitions de Gastone Nencini. Et encore moins en se lançant dans l’avant dernière étape, qu’il aborde avec plus de cinq minutes d’avance sur son premier poursuivant, Graziano Battistini. Entre Besançon et Troyes, le peloton musarde sans grande motivation, mais à l’approche de Colombey-les-Deux-Églises, il se murmure qu’un spectateur pas comme les autres pourrait donner un ton historique à cette journée sans entrain.
En séjour dans sa propriété familiale de La Boisserie, le général de Gaulle s’est en effet mêlé au public rassemblé sur les trottoirs du village Haut-Marnais pour attendre le passage de la Grande Boucle. Sans réseaux sociaux ni même téléphones portables, Jacques Goddet est alerté de cette surprise présidentielle à son passage au ravitaillement de Chaumont, soit à une vingtaine de kilomètres environ. Tout juste le temps de faire passer le message dans le peloton qu’un arrêt serait observé, l’absence d’échappée permettant une rapide neutralisation. Une fois sur place et sans même descendre de son cabriolet, le patron du Tour se sert de son porte-voix pour déclarer que « Le Tour salue affectueusement le président De Gaulle ». Un peu gêné de cette cérémonie improvisée, le président profite de cette rencontre pour féliciter quelques coureurs et en particulier le Maillot Jaune italien, qui a l’honneur d’une poignée de mains et d’un encouragement de connaisseur : « vous allez gagner le Tour ».
Avec ou sans costume-cravate, sur le bord des routes ou en voiture au cœur de la course,
la pratique de la visite présidentielle est devenue un rituel dont Charles de Gaulle a été le lointain pionnier
On avait déjà vu le Tour arrêté par un passage à niveau, jamais par un spectateur. Sur le plan purement sportif, cette halte unique en son genre fait surtout les affaires de Pierre Beuffeuil. Le coureur de l’équipe régionale Centre-Midi s’était retrouvé attardé par une crevaison, mais c’est bien la providence qui lui adresse un clin d’œil sous les traits du général. Beuffeuil reprend contact avec le peloton à Colombey et regagne confiance en lui. À 26 kilomètres de l’arrivée, il attaque en solitaire pour aller chercher son premier bouquet sur le Tour de France. « J’ai toujours voté De Gaulle », a-t-il eu la délicatesse de déclarer après sa victoire à Troyes. Avec ou sans costume-cravate, sur le bord des routes ou en voiture au cœur de la course, la pratique de la visite présidentielle est devenue un rituel dont Charles de Gaulle a donc été le lointain pionnier. Seul son successeur immédiat, Georges Pompidou, n’est pas venu à la rencontre des coureurs, tandis que Valéry Giscard d’Estaing les avait attendus à Paris pour remettre le Maillot Jaune à Bernard Thévenet pour la première arrivée finale sur les Champs-Elysées en 1975. François Mitterrand avait quant à lui joué la carte du spectateur-photographe sur une étape alpestre en 1985 et Jacques Chirac, déjà bien habitué au rendez-vous en tant que Maire de Paris, a suivi une étape corrézienne dans la voiture de Jean-Marie Leblanc sur le Tour 1998.
C’est pourtant pendant le mandat de Nicolas Sarkozy, lui-même cycliste à ses heures, que les visites présidentielles ont gagné en régularité… et en organisation. Quelques mois après son élection, le successeur de Jacques Chirac s’est rendu sur l’étape de Briançon du Tour 2007, remportée par le Colombien Mauricio Soler. À cette époque, la réception d’un président sur le Tour a commencé à s’inscrire dans un processus autrement plus rigoureux que celui de Colombey, comme l’explique le directeur adjoint du Tour Pierre-Yves Thouault, notamment en charge de préparer ces invitations spéciales : « généralement nous rentrons en contact avec les services de l’Elysée au printemps, afin de réfléchir dans un premier temps à une date qui corresponde à l’agenda du président, puis à une étape qui quelquefois s’impose naturellement. Par exemple, François Hollande avait fait le déplacement en 2014 sur l’étape Arras-Reims qui avait été tracée sur des lieux de mémoire de la Première Guerre mondiale à l’occasion des célébrations du centenaire. Mais l’année précédente, il avait bousculé son emploi du temps pour se rendre sur l’étape de Bagnères-de-Bigorre en soutien aux habitants des communes inondées par la crue de la Garonne un mois plus tôt ». Quoi qu’il en soit, la planification de cette visite, tenue secrète le plus longtemps possible, fait l’objet d’un repérage minutieux permettant à toutes les forces de l’ordre d’assurer la sécurité du président : « rien n’est laissé au hasard, poursuit Thouault. Nous savons exactement à quel endroit se posera son hélicoptère pour nous rejoindre, puis comment il sera évacué à la fin de l’étape. Pour autant, il faut être capable de s’adapter à n’importe quelle modification de dernière minute ». L’année dernière, Emmanuel Macron a connu au col du Tourmalet le bonheur d’assister à la victoire de Thibaut Pinot, pendant que Julian Alaphilippe continuait de promener le Maillot Jaune dans le pays. Le Tour, c’est aussi une certaine idée de la France, comme aurait pu dire le général…